La qualification de groupe d’entreprises en droit du travail aux fins de licenciement collectif

Depuis la réforme du travail de 2012, qui a révolutionné le cadre juridique du licenciement collectif en Espagne, le Tribunal Suprême a fait un travail d’interprétation très important de la réglementation sur la résiliation collective des contrats de travail ou ERES. En ce sens, depuis 2013 et jusqu’à présent, il a dicté une jurisprudence utile, qui clarifie de nombreux doutes d’interprétation soulevés par les opérateurs juridiques.

Cet article a pour objet l’arrêt du Tribunal Suprême du 20 juin 2018, que nous considérons d’une grande importance pour les entreprises appartenant à un groupe de sociétés et qui, en situation de crise économique et de crise de marché, n’ont pas d’autre choix que recourir à un ERE. Un aspect remarquable de cet arrêt est qu’il est rendu à l’unanimité en séance plénière par tous les magistrats/es qui composent la Quatrième Chambre du Tribunal Suprême, ce qui implique de créer un cadre de sécurité juridique.

Le groupe d’entreprises est un phénomène légal et n’a pas d’impact sur un ERE. Au contraire, le groupe d’entreprises en droit du travail est un phénomène distinct et a des répercussions très importantes dans un processus de licenciement collectif et peut être résumé comme suit :

  • La cause économique doit être prévue par toutes les entreprises du groupe et pas seulement par l’entreprise qui réalise le ERE
  • La remise de la documentation pendant la période de consultations doit également inclure celle de l’entreprise dominante du groupe
  • Et, le plus important, s’il existe un groupe d’entreprises, la Loi détermine la responsabilité solidaire du groupe pour les obligations de travail du ERE.

Quand se trouve-t-on face à un groupe d’entreprises en droit du travail ?

C’est précisément l’arrêt du Tribunal Suprême qui spécifie ce concept. Elle commence, à juste titre, à différencier le phénomène que les Tribunaux ont appelé groupe de travail pathologique d’une autre hypothèse de groupe de travail, qui est celle d’entreprise de groupe. Le premier est réservé aux cas plus exceptionnels, en cas d’abus, de fraude ou de dissimulation à des tiers.

Caractéristiques du groupe d’entreprises en droit du travail

Les caractéristiques qui doivent être données pour l’existence d’un groupe d’entreprises – qu’il s’agisse d’un groupe pathologique ou d’une simple entreprise de groupe – sont les suivantes :

  • Confusion des effectifs : cela suppose une unité de prestation de services effectuée par le travailleur pour deux ou plusieurs sociétés du groupe.
  • Confusion patrimoniale : elle implique l’usage indistinct du patrimoine social (infrastructures, moyens de production, etc.) ; n’empêche pas la cession dudit usage lorsqu’elle est formalisée.
  • Unité de caisse : cela suppose de porter à l’extrême la confusion patrimoniale. Elle est décrite comme une promiscuité dans la gestion économique.
  • Utilisation frauduleuse de la personnalité : en cas de création d’une société écran.
  • Utilisation abusive de la direction unique : c’est un exercice anormal et au détriment des travailleurs.

Le Tribunal Suprême analyse dans cet arrêt si les budgets sont établis de telle sorte qu’il existe un groupe dans le cas spécifique de deux entreprises ayant un objectif social pratiquement identique (mêmes partenaires, mêmes administrateurs, mandataires et même siège social – toutes ces données sans conséquence pour la qualification du groupe-). Il n’y avait pas la confusion patrimoniale, ni l’unité de caisse ni l’utilisation frauduleuse d’une direction unitaire. Il vise la notion d’un groupe, exclusivement, une supposée confusion des effectifs, qui allègue que trois travailleurs ont fourni leurs services simultanément pour les deux sociétés pendant 19 jours l’un, 16 jours l’autre et 53 jours le troisième. Dans les trois cas en tant qu’agent commercial.

Le Tribunal Suprême estime que, dans ce cas particulier, on ne peut pas le qualifier de groupe en raison de la confusion du personnel. Il a été établi que les travailleurs fournissaient des services simultanément pour les deux entreprises aux dates susmentionnées, mais pas que cela avait été fait de manière indifférenciée. Ainsi, il a été reconnu par les entreprises que les travailleurs avaient signé un contrat de travail spécifique pour leur fonction dans la deuxième entreprise, ayant reflété des frais de commission facturés à la contractante. Les travailleurs ont ainsi reçu deux rémunérations provenant de chaque entreprise contractante.

Le Tribunal Suprême ajoute également quelque chose qui est encore plus important. Bien qu’il s’agît de services indistincts, sans la séparation formelle commentée, ils ne seraient pas non plus un groupe. Et il se base sur le fait qu’il ne s’agissait que de trois travailleurs (sur un effectif de 20 travailleurs) et des périodes de courte durée (compte tenu du fait que les travailleurs travaillaient depuis plus de dix ans) et pour un travail aussi spécifique que celui d’agent commercial. Le Tribunal Suprême, appliquant la doctrine de l’insignifiance, définit cette hypothèse comme étant l’intercommunication minimale de travail et considère qu’elle n’a aucune pertinence pour les effets du groupe.

Cette conclusion implique automatiquement que la documentation que l’entreprise réelle et formellement employeur a apporté à la période de consultations du ERE (qui n’incluait pas l’entreprise de l’autre groupe) était suffisante. L’arrêt ajoute même une information intéressante à propos des PME. Conformément à la réglementation comptable, les PME ne sont pas obligées de préparer certains documents comptables (indépendamment de leur bilan, leur compte de profits et pertes et leur mémoire), elles ne peuvent être tenues de préparer une documentation ad hoc au-delà de la documentation obligatoire pour l’ERE.

L’arrêt conclut sur la cause économique en affirmant que le Tribunal doit se limiter dans son contrôle à exclure les licenciements dépourvus du caractère raisonnable ou de disproportionnalité manifeste entre l’objectif poursuivi et le sacrifice imposé aux travailleurs. Mais il n’est pas approprié d’émettre des jugements d’opportunité en termes de gestion d’entreprise. Dans le cas concret de l’arrêt, il s’agissait d’une entreprise qui devait fermer ses portes en raison de pertes subies au cours de ses neuf derniers mois d’activité, elle ne pouvait pas être refinancée et s’est retrouvée en concurrence volontaire peu de temps après le ERE.

On peut en conclure que les groupes d’entreprises qui traversent des difficultés de réductions d’effectifs ou licenciement collectifs seront soulagés s’ils ont déjà été protégés de la qualification de groupe en droit du travail.

Ana Gómez

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Cet article ne relève pas du conseil juridique

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