La situation actuelle de crise mondiale engendrée par la pandémie oblige divers États à adopter des mesures exceptionnelles afin de réduire le nombre de cas infectés dans le but de ne pas surcharger le système sanitaire et ainsi, de réduire le plus possible le nombre de décès.
Dans le cas de l’Espagne, le gouvernement a adopté des mesures successives, parmi lesquelles un confinement général de la population, sauf pour le développement d’activités essentielles déterminées. Cette mesure emporte, de façon prévisible, de nombreuses controverses, notamment en ce qui concerne les contrats de bail commercial. Ainsi, le bailleur désirera continuer à percevoir son loyer, mais il se peut que le local faisant objet de la location ne puisse pas être exploité par le locataire qui, pour couronner le tout, se verra aussi potentiellement affecté par la situation économique globale affaiblie par la crise globale.
Le but de cet article est de présenter les possibles solutions que la règlementation espagnole met à disposition des bailleurs et des locataires afin de résoudre cette situation.
La force majeure et la clause rebus sic stantibus
Le système juridique espagnol n’est pas étranger aux effets que les modifications substantielles soudaines des conditions convenues entre les parties, qui n’auraient pas pu être raisonnablement prévues ou qui étaient inévitables – comme dans le cas qui nous occupe –, peuvent avoir sur les relations contractuelles.
Par conséquent, il dispose de deux mécanismes qui méritent d’être analysés afin d’aborder cette situation : la force majeure et la clause rebus sic stantibus.
La force majeure
La force majeure (prévue à l’article 1.105 du Code civil espagnol) est une notion juridique qui exonère les sujets de répondre de certains événements imprévisibles ou inévitables, sauf s’il existe une loi ou un accord entre les parties qui oblige à assumer ladite responsabilité.
En principe, l’applicabilité de cette qualification juridique aux contrats de bail commercial paraît indiscutable et laisse même entendre qu’elle permettrait au locataire de mettre fin au contrat de manière unilatérale. Cependant, il faut garder à l’esprit que la force majeure, en principe, se limite à dispenser de l’exécution, ainsi que des indemnisations correspondantes, qui découlent des circonstances motivant son invocation. Néanmoins, la force majeure ne conduit pas à l’extinction du contrat, sauf si son exécution s’avère impossible.
Au vu de ce qui précède, il convient d’analyser précisément si les circonstances des contrats de bail commercial permettent réellement une application de la force majeure. S’agissant d’un contrat à exécution successive, il convient de se demander à quel moment un contrat d’une durée de plusieurs années peut être résolu pour des circonstances empêchant son exploitation pendant quelques mois, telle qu’une potentielle baisse du chiffre d’affaires.
Conformément à l’état actuel de la jurisprudence et, plus particulièrement, en vertu des décisions de justice relatives aux contrats de bail commercial survenues dans le cadre de la crise économique des 2008-2014, il paraît peu probable, à ce jour, que les juridictions acceptent que la situation actuelle permette d’invoquer la force majeure en tant que cause d’extinction du contrat de bail commercial.
Ceci dit, il convient d’analyser précisément les circonstances concrètes de chaque cas afin de déterminer si celles-ci sont conformes aux critères jurisprudentiels actuels.
Critères jurisprudentiels en vigueur
- S’agir d’un fait non imputable à la partie qui sollicite l’extinction de l’obligation
- L’inexistence d’une obligation de supporter ledit fait
- Supposer l’exécution d’un acte légal ou matériel impossible
- Que les circonstances de la force majeure soient imprévisibles et/ou inévitables
- L’existence d’un lien de causalité entre les circonstances de la force majeure et l’inexécution de l’obligation.
La clause rebus sic stantibus
La clause rebus sic stantibus est un principe de droit en vertu duquel il faut comprendre que tout contrat requiert que les conditions convenues entre les parties soient le fruit de circonstances existantes au moment d’établir ces conditions. C’est pourquoi des changements radicaux relatifs à ces circonstances peuvent donner lieu à la modification des conditions convenues.
Une fois de plus, il semblerait qu’il s’agisse d’une solution envisageable à la disposition des parties afin de gérer les contrats de bail commercial et d’adapter les conditions du contrat aux circonstances actuelles ou de résoudre le contrat. Les magistrats et les tribunaux espagnols ont appliqué cette clause de manière très restrictive puisqu’ils savent qu’elle nuit au principe et à la valeur de la sécurité juridique. Cependant, petit à petit, les juges ont infléchi leur jurisprudence et ont établi des conditions qui seront exposées ci-après.
Cette réticence est due aussi, en partie, au fait que la notion juridique a été importée des instruments juridiques internationaux, ainsi que des systèmes juridiques étrangers, et que son développement en Espagne se limite actuellement à la jurisprudence et à la doctrine.
L’analyse du traitement jurisprudentiel de la clause rebus sic stantibus dans le cadre du contrat de bail commercail révèle que l’application relativement limitée de cette clause s’adresse principalement à la renégociation du montant du loyer du locataire et à des conditions analogues, reléguant l’extinction du contrat en seconde position.
Conditions à l’application de la clause rebus sic stantibus
- Le caractère soudain des circonstances qui motivent l’application de la clause
- L’imprévisibilité desdites circonstances
- Que lesdites circonstances ne soient pas imputables à la partie qui sollicite la modification ou l’extinction de l’obligation
- L’inexistence d’une obligation de supporter ledit fait
- La rupture de l’équivalence des conditions entre les parties.
Conclusion
L’invocation de la force majeure et/ou de la clause rebus sic stantibus comme fondement pour mettre fin à un contrat de bail commercial peut paraître une solution rapide pour les locataires qui occupent lesdits locaux. Toutefois, les locataires doivent garder à l’esprit que la jurisprudence actuelle établit des critères difficiles à atteindre pour remplir les conditions nécessaires à l’extinction de ce type de contrats.
Cependant, l’analyse du traitement jurisprudentiel de la clause rebus sic stantibus révèle que cette notion a un grand succès en ce qui concerne la protection de la renégociation des conditions des contrats de location. De ce fait, bailleurs et locataires devraient considérer l’adoption de mesures par la négociation qui modifie ainsi les conditions du contrat de bail rétablissant l’équilibre entre les parties.
Enfin, il faut souligner que les accords établis entre les parties ont une importance capitale pour déterminer la validité de l’invocation de la force majeure et/ou de la clause rebus sic stantibus puisque les accords entre les parties relatifs aux circonstances qui servent de fondements à ces notions (ou ceux établis par les parties a posteriori des circonstances survenues) prévaudront.
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